Le Progrès: 12E CIRCONSCRIPTION – POLITIQUE
Cyrille Isaac-Sibille : « Les métiers de la santé vont être bouleversés »
Rencontre avec Cyrille Isaac-Sibille, élu député de la 12e circonscription du Rhône (1) en juin dernier. Un élu sans langue de bois dont le cheval de bataille est la santé et plus particulièrement la prévention.
Vous ne faites pas partie des députés qui s’ennuient et se sentent inutiles ?
« C’est un nouveau métier exaltant, la loi ce n’est pas facile à faire. Il n’y a pas longtemps je me suis fait retoquer un amendement. Il y a le côté technique et le côté politique. Le côté politique est passionnant, le côté technique, il faut apprendre et je continue à apprendre avec mon équipe ».
Concrètement, quelle est votre action ?
« Le métier de député est compliqué, dans le sens où on peut faire des tas de choses. On est contraint par le temps, il faut faire des choix. Dans une journée, on peut se rendre à l’hémicycle, participer à une commission, réaliser des auditions, se rendre à des invitations. Moi, en tant que médecin, je me concentre plutôt sur la santé et particulièrement pour la prévention. J’ai été missionné par l’Assemblée nationale pour une mission d’information prévention santé jeunes sur lequel j’auditionne depuis deux mois. On voit des gens intéressants et intelligents. Cela me prend beaucoup de temps.
Parallèlement, chaque jour à ma permanence, avec mes collaborateurs, on voit des gens sur des sujets particuliers qui peuvent être des petites choses. De là, soit on fait des questions orales au gouvernement, soit des questions écrites. Je transmets ensuite la réponse aux personnes concernées et cela peut même aller jusqu’à une loi. Il y a un mois, j’ai proposé une loi qui a été adoptée concernant les Comités de protection des personnes. Il y avait un tirage au sort qui était un peu bête qui pouvait faire perdre des mois à la recherche médicale surtout dans un monde concurrentiel et surtout par rapport à des start-up qui n’ont pas le temps d’attendre six mois pour voir s’ils peuvent réaliser des essais cliniques. Grâce à cette loi, on a fait en sorte que la recherche médicale soit plus efficace en France. »
Au niveau de votre circonscription ?
« Il y a trois jours j’étais à l’Élysée, invité par Emmanuel Macron dans le cadre de la loterie du patrimoine, accompagné des maires de Sainte-Foy-lès-Lyon et Chaponost. La mission “Stéphane Bern” a choisi l’Aqueduc du Gier comme l’un des sites remarquables du patrimoine français. Je suis heureux d’avoir contribué, à mon niveau, à la mise en lumière d’un joyau du patrimoine de ma circonscription. »
Quels combats voudriez-vous mener pour votre circonscription ?
« Je suis convaincu qu’il faut changer de système de santé. On a de plus en plus de maladies chroniques qui coûtent de plus en plus cher. Plutôt que d’aller mettre des rustines sur les hôpitaux, il faut faire en sorte que les gens soient en meilleure santé. Ça passe par la prévention. Il faut savoir que l’on a en France le plus important taux de mortalité évitable des pays occidentaux. Il y a 13 ans de différence d’espérance de vie en fonction du lieu où vous êtes né avec des pathologies chroniques : obésité, diabète, tension. Si on veut vraiment diminuer les coûts, il faut faire de la prévention et le plus tôt possible. C’est pour cela que dans le cadre de ma mission d’information prévention santé jeunes, je vais lancer une expérimentation pour faire en sorte que les enfants aient une meilleure culture en santé. Comme on a pu le faire au niveau de l’environnement à l’école, je voudrais arriver à la même chose pour la santé. Pour les adultes, c’est souvent trop tard. Cela va débuter en septembre. Au départ, je voulais que ce soit assez modeste, finalement cela va durer quatre ans et concernera 10 000 élèves sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. »
Que pensez-vous du problème des urgences à l’hôpital Lyon Sud ?
« C’est un débat complexe. Seuls 13 % des diplômés de médecine s’installent en libéral. Il faut arrêter de les embêter avec des tâches administratives. Les généralistes sont des médecins libéraux. Il faut redonner du goût à la médecine libérale. Est-ce qu’il faut passer par une médecine générale salariée ? Il faut y réfléchir. Deux tiers des gens qui se présentent aux urgences devraient être réorientés. Je pense à la création de maisons médicales adossées à des établissements de santé bien équipés avec des liens public/privé. »
Des journalistes vous ont accusé d’être au service de Sanofi…
« Premièrement, et j’en suis très fier, depuis un an on a en partie modernisé le Parlement avec une transparence et une étique. Je suis très content qu’on ait supprimé la réserve parlementaire distribuée gentiment d’une manière que je ne dirais pas électoraliste, mais presque… Lorsqu’on est élu, on déclare son patrimoine. Le problème, c’est que les informations peuvent être très mal utilisées par des gens qui ont des mauvaises intentions. J’ai un plan d’épargne en actions dans lequel j’ai indiqué toutes les sociétés dans lesquelles j’ai des intérêts. C’est un plan qui est géré par ma banque, elle choisit mes actions. La transparence est importante, mais il n’y a aucun conflit d’intérêts. Imaginer que j’ai pu soutenir la vaccination pour tous, que j’ai pu soutenir la facilité de la recherche médicale pour quelques actions Sanofi, c’est de la mauvaise foi. Ce qui est intéressant, c’est d’être à l’intérieur de la machine pour se rendre compte que de temps en temps elle déraille. »
Vous pensez qu’il y a trop de députés…
« Le problème ce n’est pas le nombre. C’est le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Pour moi, elle doit avoir plus de pouvoirs. C’est le gouvernement qui impose son calendrier, et ses lois. Les députés suivent plus le gouvernement que l’inverse. J’ai adhéré au fait qu’il y ait moins de députés, mais avec plus de moyens. À Lyon, cela fonctionne plutôt bien. Nous sommes 12 députés de la majorité, chacun se répartit les choses. On pourrait passer à huit sur la Métropole. En revanche, ce qui est important, c’est d’avoir davantage de moyens et je me battrai pour cela. »
Avez-vous un objectif particulier ?
« Je serai heureux, si au bout de ces cinq ans, ma mission de prévention santé pouvait être retenue de manière pérenne. Tout cela ce sont des paroles, après il faut des actes. À l’automne, il va y avoir le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Aujourd’hui, quand on parle de la santé, 98 à 99 % du budget est affecté aux soins et 1 ou 2 % à la prévention. Si au bout des cinq ans, on pouvait doubler les sommes dédiées à la prévention, ce serait une victoire. C’est la seule manière de soulager notre système de soin. »
Comment voyez-vous la médecine de demain ?
« Comme dans des tas de domaines, je compare souvent notre période à celle de la Renaissance, tout se bouscule, tout change. Les métiers de la santé vont être particulièrement bouleversés d’ici trois ou quatre ans grâce au numérique, grâce à l’intelligence artificielle. Il y aura toujours un médecin derrière, par contre il devra être aidé par les moyens techniques et pas dépassés. C’est un enjeu extraordinaire. Il y a dix ans, un génome coûtait 2 milliards, maintenant vous l’avez en 48 heures pour quelques centaines d’euros. On naîtra avec son génome, son épigénétique et puis après, c’est son environnement et ses conditions de vie qui feront la santé. Ce qui m’intéresse, ce sont les conditions de vie, l’environnement et la prévention. À Lyon aujourd’hui, on a le climat d’Avignon il y a trente ans, cela pose de nouvelles problématiques.
Pour moi, il y a deux grandes inégalités : l’éducation et la santé. La santé dépend de beaucoup d’indicateurs. Il y a les soins, l’urbanisme, l’environnement, l’eau, l’air qu’on respire, l’alimentation et le sport. La santé est un enjeu transversal et je pense que si on réussit dans la santé, c’est qu’on a réussi l’ensemble des politiques, même le logement sur lequel on discute actuellement.
Note Permanence parlementaire 34 bd Emile-Zola à Oullins.
(1) 12e circonscription : Charly, Francheville, Irigny, La Mulatière, Oullins, Pierre-Bénite, Sainte-Foy-lès-Lyon, Tassin-la-Demi-Lune, Vernaison.